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samedi 7 mars 2015

Tunisie-États-Unis : la déclaration d'amour

Rien n'a manqué à la conférence "Investment & entrepreneurship" organisée à Tunis pour montrer combien les échanges tuniso-américains étaient pertinents.

Avec ses 400 participants, la conférence "Investment & entrepreneurship" organisée par l'AmCham Tunisie et des partenaires américains ce jeudi 5 mars à Gammarth, cité balnéaire de la capitale tunisienne, s'est signalé comme l'illustration de la ferme volonté des acteurs économiques et politiques tunisiens de changer la donne économique dans les relations avec les États-Unis, en termes d'investissement, mais aussi d'entrepreneuriat. Des Tunisiens, des Américains, des Marocains, des Algériens, des acteurs du public ou du privé y ont ainsi assisté pour, avec la Chambre de commerce tuniso-américaine (Am Cham) présidée par Amel Bouchamaoui, accompagner la transition économique tunisienne. Au-delà, c'est aussi la question sécuritaire qui encourage les États-Unis à renforcer leur présence en Tunisie, point de jonction stratégique entre l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Europe. "Il y a 4 ans, un Tunisien, un vendeur de fruits plus précisément, a eu le courage de s'attaquer à l'humiliation et les changements qu’il a inspirés ont traversé tout le Moyen-Orient. Aujourd’hui, il y a encore de nombreux défis dans la région, mais la Tunisie nous donne de l'espoir. Les Tunisiens ont démontré que la démocratie est possible et nécessaire au Moyen-Orient. La Tunisie est un exemple dans la région et les États-Unis sont fiers d’être vos partenaires." C’est avec ce message signé Barack Obama himself que s’est ouverte la conférence "Investment & entrepreneurship", ce 5 mars, au Regency hôtel, à Gammarth. Cela donne une idée de l'importance du moment. Pour la jeune démocratie tunisienne dont les autorités nouvellement élues ont effectué, à cette occasion, leur première sortie officielle. Pour les Américains également, qui ont dès les premiers jours de la révolution témoigné d'un intérêt certain pour la Tunisie.

Madeleine Albright : "La Tunisie est un phare"
"Les États-Unis ont l'intention d'aider ce pays, parce que la Tunisie est un phare", a déclaré à l’auditoire Madeleine Albright, ancienne secrétaire d’État des États-Unis, présidente de Partners for a New Beginning-North Africa Partnership for Economic Opportunity (PNB-NAPEO), coorganisateur de la rencontre avec l’Institut Aspen. "Nous, dans l'institut, on est persuadé que la démocratie est la meilleure façon pour les personnes de développer leur propre voie. Mais quand les populations votent, elles veulent manger aussi à leur faim. Il faut un développement économique, donc des investissements", a-t-elle poursuivi. Plus précisément, sur la question de la sécurité, "il faut observer la chose du point de vue de l'Afrique et du Moyen-Orient", a-t-elle indiqué. "Il faut se prémunir contre les causes du terrorisme pour l’éradiquer, ce qui commence par créer des emplois au profit des jeunes. Les USA peuvent seconder les efforts nationaux en la matière", a-t-elle ajouté. Et de poursuivre : "Les Tunisiens doivent savoir que les USA sont leur partenaire, elle insiste sur le mot, un partenariat d'égal à égal."

La secrétaire au Commerce : "Le monde entier continue d'observer la Tunisie"
Ce sera le message martelé tout au long de la journée par la délégation américaine avec également la secrétaire au Commerce, Penny Pritzker. "La Tunisie est l’hôte idéal de cette conférence dont la vocation est d’explorer le potentiel économique de l’Afrique du Nord. Il y a quatre ans, une nouvelle ère a commencé ici en Tunisie et a attiré l'attention du monde entier. En Amérique, on connaît tous l’histoire de Mohamed Bouazizi. Son acte unique de désespoir a ouvert le premier chapitre d’une histoire qui rappelle le début des USA quand un petit groupe de patriotes a inspiré toute la population pour prendre son destin en main. Aujourd’hui, le monde entier continue d’observer ce que vous allez faire pour transformer une victoire politique en triomphe économique", a ainsi déclaré Penny Pritzker. Une étape essentielle, a-t-elle souligné, pour répondre aux ambitions du peuple tunisien. Aussi, même si les défis sont nombreux, la Tunisie ne manque pas d’atouts, selon elle. "Ainsi de la nouvelle stabilité politique, de sa position géographique, de sa culture, de sa langue, autant d'éléments qui font de la Tunisie un pont entre l’Europe et l’Afrique", a-t-elle poursuivi insistant sur "les beautés naturelles du pays qui font de la Tunisie un aimant pour les touristes du monde entier et la population, éduquée et formée, un formidable réservoir de talent". Penny Pritzker n'a pas hésité à mettre en exergue "la population jeune, mais dont les trois quarts sont au chômage". En d'autres termes, des cibles faciles pour les radicaux et extrémistes qui évoluent dans la région. D'où la nécessité de mettre en place des possibilités économiques pour la jeunesse et étouffer ainsi la radicalisation et l'extrémisme.

Les États-Unis ont une vraie stratégie pour la Tunisie
Pour le pays de Barack Obama, il s’agit d’accompagner la première démocratie du monde arabe alors qu’il a été reproché aux Occidentaux, les USA en particulier, d’avoir soutenu les anciennes dictatures en place. L'idée est simple : il faut s’appuyer sur la Tunisie, qui fait office de laboratoire dans la région, pour atténuer le sentiment antiaméricain qui prévaut dans la région depuis l’intervention en Irak. Et les premières mesures ont été lancées dès le lendemain de la révolution comme le rappelle la secrétaire d’État tandis que d’autres sont prévues dans le cadre du programme intitulé "Regional Investments to Support Entrepreneurship-or RISE" mené par l’administration Obama. Cette nouvelle plateforme est un partenariat entre le département du commerce et Microsoft, Hewlett-Packard, Cisco, Pfizer, Medtronic, ainsi que Partners for a New Beginning, pour promouvoir le commerce et l’investissement entre nos deux pays. Par ailleurs, en marge du congrès, une convention a été signée avec trois banques tunisiennes pour l’octroi de 37 millions de dollars américains en faveur des PME/PMI et de la création de 2500 emplois.

La nécessité de renforcer l’environnement des affaires
Mais pas de croissance économique sans investissements. Compte tenu des faibles capacités du gouvernement tunisien, l’investissement ne peut être que privé. Or pour attirer des investisseurs étrangers, la Tunisie doit renforcer son attractivité... et améliorer son climat des affaires. C’est l’urgence. De quoi conduire Penny Pritzker à évoquer quatre freins à l’investissement en Tunisie : le code des investissements, trop complexe ;  le système bancaire, pas assez favorable aux affaires ; le système de taxation douanière, imprévisible et discrétionnaire ; une loi sur les PPP, peu efficiente. Des réformes devront donc être adoptées et les autorités tunisiennes sont d'accord. "Ce gouvernement a une vision : permettre à la Tunisie de passer d'un modèle de développement économique basé sur un bon rapport qualité-prix de sa main-d'oeuvre vers un modèle basé sur l’innovation", explique Slim Chaker, ministre des Finances. "Toutes les réformes énoncées par la secrétaire d'État américaine sont déjà en cours en Tunisie. Non seulement nous allons les poursuivre, mais nous allons les mettre en oeuvre. Pour deux raisons essentiellement : l'image de la Tunisie et la continuité de l'État. Mais le risque, a-t-il dit, est de continuer à voir la Tunisie abandonnée par la communauté internationale du fait qu’elle a passé la transition démocratique. Nous avons besoin de nos amis américains, européens ainsi que des bailleurs de fonds. Ils ne doivent pas attendre que le risque soit atténué pour investir parce que dans trois ou quatre ans il sera peut-être trop tard…"

Le Premier ministre Essid veut faire de la Tunisie "une locomotive régionale"
Dans son intervention, le chef du gouvernement, Habid Essid, a invité les Américains à investir en Tunisie, "la locomotive régionale en matière de savoir, une opportunité qui va créer une dynamique régionale pour attirer l'investissement étranger". Ses propos ont été confirmés par Yassine Brahim, ministre du Développement, des Investissements et de la Coopération. "La Tunisie a dans son background un grand marché africain. Une opportunité pour l’Europe elle-même confrontée à de nouveaux défis. Les USA également peuvent s’appuyer sur la Tunisie comme plateforme pour exploiter cette opportunité", a-t-il précisé.

Les attentes tunisiennes face aux États-Unis
En retour, les Tunisiens attendent des États-Unis des investissements, notamment dans le domaine des infrastructures. "La Tunisie a de très grands besoins en matière d'infrastructures, explique le ministre qui a poursuivi, nous avons un petit territoire, mais les disparités régionales sont fortes."

Un accord de libre-échange avec les États-Unis
Amel Bouchamaoui, présidente de l’AmCham Tunisie n’en attendait pas moins. "Nous espérons que cette conférence constituera un véritable tremplin pour un partenariat long et durable entre les USA et le Maghreb. Nous avons besoin de davantage d'ambitions, d'audaces, de créativités pour avoir un impact positif dans l’immédiat et sur le long terme", a-t-elle dit. Plus concrètement, ce qu’attendent les entrepreneurs tunisiens, c’est un accord de libre-échange avec les États-Unis, sur le modèle de celui qui les relie au marché européen.

Le président Béji Caïd Essebsi : "Bienvenue en Tunisie"
"Tous ceux qui veulent travailler pour la Tunisie sont les bienvenus", a indiqué le président de la République tunisienne, Béji Caïd Essebsi, dans un discours improvisé et non dénué d’humour. "Quand j’ai rencontré Barack Obama, a-t-il expliqué, je lui ai rappelé que nos deux pays avaient plus de deux siècles d’histoire commune. Il a souhaité voir nos échanges perdurer pour deux siècles encore. Je ne serais plus là, lui ai-je rétorqué. Moi non plus, a-t-il répondu." Cette anecdote racontée, le président Essebsi s'est adressé aux Tunisiens en arabe en ces termes : "Nous sommes au milieu du guet, soit on avance, soit on recule. Or, les Tunisiens ne pourront avancer seuls. Les reformes, nous allons les mener, mais en sachant que nos amis seront avec nous. Nous devons tous travailler pour la Tunisie. Tous ceux qui veulent travailler pour la Tunisie sont les bienvenus. J’ai un espoir : les Tunisiens ne gagneront que s’ils investissent dans leur pays et le moindre centime versé vous rapportera le double ! De même pour les étrangers, s’ils investissent en Tunisie, ils gagneront !" Pas de doute, la Tunisie a décidé de jouer la carte du win-win.

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