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vendredi 13 mars 2015

Au sud de la Tunisie, les contrebandiers sont au chômage

« Je suis au chômage depuis quelques mois. Je travaillais comme commerçant à la frontière depuis 2007. Je ramenais six à douze réservoirs de carburant par jour, contenant chacun 1 000 litres », raconte Amine, 35 ans, habitant Dhiba, au sud de la Tunisie, tout près de la frontière avec la Libye.

Passant par les pistes des zones montagneuses, les contrebandiers qui évitent les contrôles douaniers procèdent à diverses transactions dans le no man’s land entre les deux pays. Tandis qu’ils importent des produits en provenance de Chine ou de Turquie, essentiellement de l’électroménager, des vêtements et du carburant libyen, ils exportent des produits alimentaires subventionnés en Tunisie.

De la petite bourgade de Dhiba, les montagnes libyennes sont visibles au loin. Les citernes qui servaient il y a quelques mois au transport du carburant sont abandonnées devant les maisons. « En empruntant les pistes agricoles, nous croisions l’armée, mais nous pouvions mener ce genre de commerce tant que les produits transportés n’étaient pas illégaux. Désormais, ils ne laissent plus faire », explique Amine, fier d’annoncer que le carburant de Dhiba était distribué jusqu’à Bizerte.

Du grossiste au petit détaillant

La contrebande représentait 90 % de l’activité de la bourgade. Le reste étant constitué par une boulangerie, un café et un pseudo-magasin de produits alimentaires. À plusieurs kilomètres de là, à Mednine, un petit commerce aménagé en bord de route, à quelques mètres d’un barrage de police, revend de l’essence libyenne. C’est chez Omar, un quarantenaire, dans le métier depuis 1987.

« Non, je ne vends plus de carburant libyen, celui-ci est d’Algérie, il est rouge et non vert », dit-il, pensant s’adresser à des connaisseurs. Crise oblige, le carburant algérien se substitue au libyen et fait le trajet depuis El Oued en passant par la frontière à Gafsa. « Avec le renforcement de la surveillance au niveau des frontières, nous avons perdu l’accès au carburant libyen. Nous vivons la même crise que lors de la révolution libyenne », s’inquiète Omar.

Il vend deux fois moins de bidons depuis octobre 2014 et s’en plaint. Alors qu’il vendait le bidon de 22 litres à 9,5 dinars tunisiens, son prix atteint désormais 23,5 dinars (soit environ de 4 à 10 euros). « Bientôt, nous n’aurons plus de travail. Les autorités se trompent en faisant le lien entre contrebande et trafic d’armes. Nous faisons ce commerce parce que nous n’avons pas d’autres moyens de subsistance. Notre région est pauvre. »

La contrebande pour lutter contre les réseaux terroristes ?

Le phénomène du commerce parallèle entre la Tunisie et la Libye est relativement ancien, mais s’est accentué depuis 2011, estime un rapport de la Banque mondiale de décembre 2013. Il représenterait plus de la moitié des échanges avec la Libye. Selon ce même rapport, le commerce informel ferait perdre environ 1 milliard de dollars par an à la Tunisie.

La contrebande est surtout la principale activité des zones frontalières. En janvier 2015, après le renforcement des mesures sécuritaires et la saisie de plusieurs camions de contrebande, les habitants de Dhiba avaient manifesté contre le manque de développement de la région et réclamé un accès à l’emploi. Des affrontements avaient éclaté entre forces de l’ordre et habitants, faisant un mort et un blessé grave. La région du sud de la Tunisie est l’une des plus frappée par le chômage, lequel atteint une moyenne nationale de 15%.

D’habitude peu regardante vis-à-vis du commerce parallèle, les autorités tunisiennes changent de stratégie. Mais « augmenter les contrôles peut s’avérer coûteux et être non profitable, alimentant seulement la corruption », conclut dans son rapport la Banque mondiale. Dans un rapport publié en 2013, l’ONG International Crisis Group a estimé qu’intensifier les contrôles militaires était aussi important que de rétablir la confiance avec les résidents des zones frontalières, lesquels – en échange d’une relative tolérance – sont plus enclins à contribuer à la lutte contre les groupes armés. (Le Monde / 12.03.2015 Par Salsabil Chellali)

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