L’instance Vérité et Dignité, chargée
de mettre en place la justice transitionnelle et d’enquêter sur les crimes des
régimes de Ben Ali et Bourguiba, a commencé ses travaux ce mois-ci. Ses
responsables ont eu accès au palais présidentiel jeudi et ont placé la totalité
de ses archives dans des cartons afin de les récupérer. Le but : les transférer
aux archives nationales pour les numériser, les classer et les exploiter. Mais
ils assurent en avoir été empêchés vendredi par des membres de la garde
présidentielle. Leurs camions ont dû rebrousser chemin.
«
Des membres du syndicat de la garde présidentielle ont bloqué l’accès au
palais de Carthage à nos camions », assure la présidente de l’instance
Vérité et Dignité. Sihem Ben Sedrine affirme qu’elle disposait d’un accord
écrit de la présidence pour récupérer ces documents. Dans un deuxième accord,
le directeur de la garde présidentielle s’engageait, toujours selon elle, à
veiller sur le convoi.
Le secrétaire général du syndicat de
la sécurité présidentielle, Hichem Gheribi a indiqué que Sihem Ben Ben Sedrine
s’était rendue au palais, accompagnée de 6 camionnettes dans le but de
récupérer les archives.
Il a ajouté que les archives ne
pouvaient être déplacées, lors de cette période sensible où l’on s’apprête à la
passation des pouvoirs , précisant que la mission de la sécurité présidentielle
était d’assurer la sécurité du président de la République et des archives se
trouvant au palais, loin des tiraillements politiques.
Le directeur général de la sécurité
présidentielle et des personnalités Tawfik Kasmi, a déclaré avoir donné instructions
pour empêchée de déplacer les archives présidentielles. Ridha Belhaj dirigeant du parti « Nidaa
Tounes » aurait appelé, selon lui, le cabinet présidentiel, jeudi dernier,
pour demander que le transfert des archives soit reporté jusqu’à la passation
des pouvoirs.
La présidence réfute toute
implication
Suite à cette affaire, la Présidence
de la république a précisé dans un communiqué, que les rapports entre les deux
institutions ont débuté au mois de juillet après que l’instance n’ait été
formée, et que la Présidence a veillé à apporter le plus d’aide et de
coopération pour faciliter sa mission légale.
Conformément à la loi organique
numéro 53 de l’année 2013, datée du 24 décembre 2013, portant sur
l’instauration d’une justice transitionnelle, notamment l’article 52, «lors
d’une réunion tenue le 17 juillet 2014, la présidence de la République a exprimé
ses prédispositions sans conditions, à appliquer les décisions de l’Instance au
sujet du transfert des archives du palais », indique le communiqué.
La présidence ajoute que les besoins
logistiques ont fait que l’opération de transfert ait été retardée, jusqu’à ce
que l’Instance ait préparé les moyens nécessaires à l’opération, qu’elle ait eu
un local, et aussi le temps que la Présidence répertorie les archives et
prépare les bons nécessaires à l’opération.
« Quand l’opération de transfert est devenue
possible, l’IVD a adressé un courrier à la présidence à la date du 24 novembre
2014, et il a été convenu que l’opération ait lieu le 26 décembre 2014. Deux
représentants de l’Instance ont commencé depuis le 25 décembre à procéder au
rangement des documents », ajoute
le communiqué.
Le 26 décembre 2014, l’Instance
Vérité et Dignité a été empêchée par le Syndicat de la sécurité présidentielle
de transférer les archives. « La Présidence informe que ce comportement n’exprime
pas sa position par rapport à l’Instance, et qu’elle s’engage à coopérer avec
les instances constitutionnelles, conformément à ce que l’exige la loi »,
indique le communiqué.
Réactions de la société civile
L’Observatoire Tunisien de
l’indépendance de la magistrature (OTIM) a condamné, samedi, l’empêchement fait
à l’Instance Vérité et Dignité (IVD) de prendre livraison, la veille, des
archives de la Présidence de la République, et « la manière dont ont été
traité les membres de l’instance, en violation des dispositions de la Constitution
et de la loi sur la justice transitionnelle », y voyant « une atteinte
caractérisée aux institutions de l’Etat ».
L’Observatoire a mis en garde, dans
un communiqué contre « l’impact de telles pratiques sur le processus de la
justice transitionnelle, sur la confiance du public en l’Instance Vérité et
Dignité et sur les compétences qui lui sont conférées, à la première mise à
l’épreuve de sa relation avec les pouvoirs publics ».
Le communiqué a, en outre, critiqué «
la politisation » ayant accompagné « les faits graves » survenus
à l’entrée du Palais de Carthage, de même que « l’absence de tout rôle des
institutions » et « l’irresponsabilité » des auteurs de ces
agissements, « au mépris de l’autorité de l’Etat et de la primauté du droit
». L’Observatoire a considéré que « les
dépassements commis par les syndicats sécuritaires, seraient de nature à porter
atteinte au bon fonctionnement des institutions de l’Etat, compromettre la
stabilité politique et nuire à l’action sécuritaire et syndicale».
Le Réseau tunisien de la justice
transitionnelle de son coté a dénoncé Dans un communiqué publié dimanche 28
décembre « l’interdiction injustifiée par des agents du syndicat de la
sécurité présidentielle, à l’Instance Vérité et Dignité (IVD), de saisir les
archives de la présidence de la République ». Le réseau appelle la présidence à
faciliter le travail de l’IVD, et demande que les agents de la sécurité
présidentielle qui ont empêché le transfert des archives soient poursuivis en
justice, « conformément à l’article 66 de la loi organique relative à la
justice transitionnelle »
Le réseau de la justice
transitionnelle recommande par ailleurs que les archives publiques et privées
relatives aux violations soient regroupées au siège des archives nationales, à
Tunis, appelant à ce que les archives soient suffisamment protégées et qu’un
pavillon soit spécialement réservé à l’IVD pour sécuriser son travail. Il rappelle enfin que la justice
transitionnelle est, au même titre que les élections, l’un des deux piliers de
la transition démocratique.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire